Jean-PaulSartre Les Chemins de la liberté

J.P Sartre Les chemins de la liberté "L'âge de raison":

 

" Nom de Dieu, dit il à voix haute, il ne sera pas dit que nous n'aurons tenu quinze minutes". 

Il s'approcha du parapet et se mit à tirer, debout. C'était une énorme revanche; chaque coup le vengeait d'un ancien scrupule. "Un coup sur Marcelle que j'aurais pas du plaquer, un coup sur Odette que je n'ai pas voulu baiser. Celui-ci pour les livres que je n'ai pas osé écrire, celui là pour les voyages que je me suis refusé, cet autre sur tout les types, en bloc, que j 'avais envie de detester et que j'ai essayé de comprendre." Il tirait, les lois volaient en l'air, tu aimeras ton prochain comme toi même, pan dans cette gueule de con, tu ne tueras point, pan sur le faux jeton d'en face. Il tirait sur l'Histoire, sur la Vertu, sur le Monde: la Liberté, c'est la Terreur; le feu brulait dans la mairie, brulait dans sa tête: les balles sifflaient libre comme l'air, le monde sautera, moi avec, il tira; il regarda sa montre: quatorze minutes trente seconde, il n'avait plus rien à demander sauf un delai d'une demi-minute juste le temps de tirer sur ce bel officier qui courait vers l'église; il tira sur le bel officier, sur toute la Beauté de la Terre, sur la rue, sur les fleurs, sur les jardins, sur tout ce qu'il avait aimé. La Beauté fit un plongeon obscène et Mathieu tira encore. Il tira, il était pur, il était libre.

                              Quinzes minutes

Date de dernière mise à jour : 03/01/2019

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