RACINE (1639-1747)

 

 

Jean Racine est né à La Ferté-Milon (Aisne) le 21 décembre 1639. Racine vit pendant sa première enfance, au milieu d'influences jansénistes. Et, quand il fut en âge de travailler, on l'envoya au collège de la ville de Beauvais, dirigé par des jansénistes ; puis, à seize ans, on le mit aux Petites-Écoles de Port-Royal. Là il fit d'excellentes humanités, il y apprit le grec (que l'on n'enseignait pas alors dans les collèges de l'Université ou des Jésuites) ; mais surtout il y reçut une profonde éducation religieuse.

 

Ses études terminées, après une année de philosophie au collège d'Harcourt, à Paris, Racine accepte une petite place auprès de son oncle Vitart, intendant du duc de Chevreuse. Mais il est de bonne heure tenté par la poésie, et en 1660, il publie une ode intitulée La Nymphe de la Seine, composée pour le mariage du Roi. En même temps, il se lie avec La Fontaine, et il s'attire les remontrances de Port-Royal. Pour l'arracher au monde des lettres et du théâtre, sa famille l'envoie à Uzès (dans le Gard), où l’un de ses oncles, le chanoine Scouin, lui promettait un bénéfice ecclésiastique. Il reste dans le Midi à peu près un an, étudiant fort peu la théologie, et préparant des poèmes et des tragédies. Quand il revient à Paris, en 1663, il fait paraître une Ode sur la convalescence du Roi, et reçoit une gratification de 600 livres, dont il remercie Louis XIV par une nouvelle pièce : La Renommée aux Muses.

 

En 1664, la troupe de Molière, au Palais-Royal, joue la première tragédie de Racine : La Thébaïde ou les Frères ennemis. L'année suivante, le même théâtre donne Alexandre ; mais Racine, mécontent des acteurs tragiques de Molière, porte sa pièce à l'Hôtel de Bourgogne qui la joue concurremment avec celle du Palais-Royal. Dès ce jour, Molière et Racine sont brouillés. En même temps, Racine, piqué au vif par une phrase de Nicole sur les poètes comparés à des « empoisonneurs publics », lance contre Port-Royal une petite lettre qui est un chef-d’œuvre d'esprit et un acte de noire ingratitude; il allait en publier une seconde, quand Boileau l'arrêta.

 

De 1667 à 1674, Racine donne, toujours avec succès, mais non sans luttes ni polémiques : Andromaque (1667), les Plaideurs (1668), Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie (1674). En 1673, il était entré à l'Académie française. Trois années s'écoulent entre Iphigénie et Phèdre jouée au mois de janvier 1677; on sait qu’une violente cabale fut montée contre la Phèdre de Racine par la duchesse de Nevers et la princesse de Bouillon qui voulaient faire triompher la Phèdre de Pradon. D'ailleurs, la pièce de Racine se releva après la troisième représentation, et il est inexact de parler ici d'une chute.

 

Mais Racine, précisément cette même année, se réconcilie avec ses anciens maîtres de Port-Royal, en particulier avec le grand Arnauld. Alors, il renonce au théâtre, se marie, devient historiographe du Roi, fréquente la cour et élève une nombreuse famille. En 1689, il consent à écrire, sur la prière de Mme de Maintenon, un ouvrage propre à être récité et chanté, pour les jeunes filles de Saint-Cyr : c'est Esther, dont les représentations eurent un immense succès ; et, en 1691, il donne, à la même intention, Athalie qui, jouée sans costumes dans la chambre du Roi, passa d'abord pour inférieure à Esther.

 

Les dernières années de Racine furent attristées, dit-on, par une disgrâce auprès du Roi, on ne sait pour quelle cause. Mais cette disgrâce, du moins, fut courte, et paraît n'avoir été due qu'aux attaches de Racine avec Port-Royal qui devenait de plus en plus suspect à Louis XIV. Il mourut le 21 avril 1699, laissant sept enfants, dont deux fils : Jean-Baptiste à qui il a adressé des lettres charmantes et qui mourut en 1747, et Louis, auteur des poèmes de La Grâce et de La Religion.

 

Les Tragédies

 

On peut négliger, dans l'œuvre de Racine, la Thébaïde et Alexandre; mais Andromaque, en 1667, est dans l'histoire de notre théâtre, une date aussi importante que, trente et un ans auparavant, celle du Cid.

 

Andromaque (1667)

Racine a tiré cette pièce du tragique grec Euripide ; mais il s'est inspiré également d'Homère et de Virgile. Il a modifié profondément la situation de son héroïne. Dans la légende ancienne, Andromaque tremble pour la vie du petit Molossus, enfant né de son mariage avec Pyrrhus. Chez Racine, Andromaque est restée la veuve d'Hector et la mère d'Astyanax. Aussi va-t-elle se trouver prise entre deux devoirs : demeurer fidèle à la mémoire de son époux, et sauver son fils. La jalousie et l'orgueil d'Hermione forment un contraste saisissant avec la résignation et le calme courage d'Andromaque.

 

Britannicus (1669)

Racine avait remporté un éclatant succès avec Andromaque. Mais les partisans du vieux Corneille déclaraient Racine incapable de réussir dans la tragédie historique. Celui-ci accepta le défi et chercha dans Tacite un sujet qui lui permît de développer des sentiments romains. Il choisit l'histoire de Néron et de Britannicus, et la suivit fidèlement ; mais il limita son action qui devait se passer en vingt-quatre heures. Il ne voulut peindre en Néron que le monstre naissant, afin que le personnage restât humain et pût exciter sinon la sympathie, du moins l'intérêt des spectateurs.

 

Barjazet (1672)

Racine n'a pas toujours imité les anciens. Une anecdote racontée par un ambassadeur à Constantinople lui a inspiré une tragédie dont le sujet est contemporain. Il n'a pas cherché, dans cette tragédie, la couleur locale extérieure, comme les romantiques. Mais il s'est appliqué à donner aux passions et aux sentiments le degré d'intensité et de fureur qui peut rendre vraisemblable le dénouement. Jamais la jalousie féminine n'a été mieux analysée

 

Iphigénie(1674)

Iphigénie est imitée du poète grec Euripide, mais Racine modifie sur certains points l'action et le dénouement. C'est ainsi qu'il rend Achille amoureux d'Iphigénie, tandis qu'Euripide nous dit seulement qu'Agamemnon s'est servi du prétexte de ce mariage pour faire venir sa fille à Aulis. Racine a supprimé le personnage de Ménélas et l'a remplacé par Ulysse. Et surtout, il a changé le dénouement. Chez Euripide, Iphigénie est étendue sur l'autel du sacrifice ; un nuage l'enveloppe, elle disparaît, et l'on trouve à sa place une biche blanche. C'est Diane qui l'a enlevée et transportée en Tauride. Racine suppose au contraire que l'oracle a voulu désigner en réalité une autre Iphigénie, Ériphile, qui, à la fin de la pièce, est contrainte de se sacrifier elle-même. Iphigénie est une des pièces les mieux construites et les mieux écrites de Racine : Voltaire la considérait comme le type parlait de la tragédie classique.

 

Poétique de Racine

 

— Tandis que Corneille paraît toujours ressentir un secret dépit contre Aristote et ses commentateurs, Racine semble ne regarder les règles de la tragédie que comme les conditions nécessaires du genre. Cela tient à ce que la « crise morale » à laquelle Racine réduit toute sa pièce acquiert par les trois unités, loin d'en être gênée comme les actions historiques et implexes de Corneille, plus de concentration et de force.

 

— Racine choisit ses sujets dans la légende grecque ou romaine : une fois, dans Bajazet, il s'inspire d'un fait contemporain, mais lointain : deux fois, il a recours à la Bible.

 

— Tout son effort vise à rendre ce sujet vraisemblable : c'est-à-dire, étant donné un certain dénouement tragique fourni par la tradition, à le montrer, à le rendre nécessaire, par l'analyse approfondie des passions humaines qui l'ont produit. Aussi l’action, en elle-même, est-elle très simple. Entre l’exposition et le dénouement, aucun événement nouveau : rien que le jeu des sentiments. C'est ce que Racine appelle : « faire quelque chose de rien. »

 

— L'amour est, de toutes les passions, celle qui tient le plus de place dans les pièces de Racine. Mais, pour ne pas tomber dans la galanterie à la mode, Racine ne manque jamais de peindre l’amour jaloux. La jalousie est le grand ressort tragique de son théâtre, comme la volonté celui du théâtre de Corneille. Cependant, Racine n'a pas moins réussi dans l'analyse de l'ambition politique, de l'amour maternel, de l'amour ingénu : mais, en général, c'est l'amour tragique et jaloux qui mène l'action et qui provoque le dénouement.

 

— De là, l'impression de vérité et de tristesse que laisse le théâtre de Racine. Corneille, en exaltant l'énergie et la volonté, nous amène à prendre confiance en nos propres forces ; Racine, en nous présentant un Pyrrhus, un Oreste, une Hermione, une Roxane, un Mithridate, une Ériphile, une Phèdre, jouets et victimes de passions violentes et cependant vraisemblables, nous oblige à faire un retour sur notre faiblesse. Seule la dignité des personnages et le recul de l'action peuvent rassurer les spectateurs : à la lecture, nous sentons que cette tragédie serait, en changeant les temps et les noms, le drame moderne réaliste et bourgeois.

 

Racine prosateur

 

— De Racine, nous avons des lettres de jeunesse, écrites d’Uzès ; (1661-62), celles qu'il adresse à Boileau (1687-99), et enfin de nombreuses lettres à son fils aîné. Elles sont toutes aussi attachantes par le fond que par la forme.

Outre les lettres, nous avons de Racine un Abrégé de l'histoire de Port-Royal, ouvrage qu'il composa vers la fin de sa vie, et qui ne fut publié qu'au XVIIIe siècle : c'est un admirable mémoire d'avocat ; le style en est simple, naturel, et d'une sincérité qui atteint souvent la grande éloquence.

 

— D'autre part. Racine nous a laissé quelques fragments de son Histoire de Louis XIV ; la plus grande partie de cet ouvrage, composé en collaboration avec Boileau et Valincour, fut détruite par un incendie.

 

— Enfin, parmi les discours académiques de Racine, il faut citer celui qu'il prononça à la réception de Thomas Corneille (1684). Jamais on n'a mieux parlé du grand Corneille.

 

Style de Racine

 

Le style de Racine, auteur tragique, donne en général une impression d'harmonie, de justesse, de naturel. Mais c’est au théâtre qu’il faut le juger. Là on s’aperçoit que le style de Racine est plus varié que celui de Corneille : chaque personnage y parle le langage de son caractère et de sa situation. Dans les passages d'exposition ou de galanterie, il y a parfois trop d'élégance, ou du moins on la sent : dans les scènes où le poète fait parler la passion toute pure, c'est la nature même que l'on croit entendre, et jamais aucun poète n'a réalisé à ce point l’art de se l'aire oublier lui-même.

 

 

 

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