LA POESIE
« Le poète se consacre à définir et à construire un langage dans le langage » écrit Paul Valéry, définissant ainsi ce que pourrait être la poésie. Mais cette langue poétique se double d’une recherche esthétique manifestant la volonté, le désir du poète à communiquer, à partager, en créant un lien intime et profond avec son lecteur. La force de la poésie provient de cette capacité à émouvoir et à toucher le lecteur peut être plus que tout autre genre littéraire. Alors, l’imagination, la créativité du poète ne semble pas avoir de limite, et, le langage poétique de frontières.
1- En cherchant à émouvoir la poésie semble, tout d’abord, le genre le plus approprié à l’expression des sentiments les plus intimes (lyrisme poétique).
Depuis l’antiquité la poésie s’affirme comme le genre littéraire le plus approprié à l’expression des émotions humaines et des sentiments les plus intimes. Le registre lyrique semble un des fondements même de cet art.
Le mot lyrisme est dérivé de la lyre instrument de musique à cordes qui est l'attribut d'Apollon, son inventeur légendaire, mais aussi d'Orphée, ou d'Érato, muse antique de la poésie lyrique et érotique représentée couronnée de roses et de myrtes et portant une lyre à la main droite.
L'adjectif « lyrique » apparaît en premier au XVe siècle en relation avec la poésie grecque antique. C’est le romantisme (voir fiche) qui va associer ce mot à la poésie pour qualifier l’intensité de l’expression poétique de la subjectivité de l’être, de ses émotions et ses sentiments.
Les thèmes abordés vont de l’intime à l’universel : les émotions intimes, les sensations, la vie l’amour, la mort... Par exemple, on trouve dans les œuvres de V. Hugo, parsemées des fruits de son inspiration, ses sentiments et ses plaintes . Le poète crie son désespoir de la perte de sa fille. Son écriture vise souvent à parler de sa tristesse et de son accablement. Les autres poètes romantiques comme Lamartine ou Musset font part avec lyrisme de leurs déceptions amoureuses.
2- La langue poétique se double d’une recherche esthétique et d'un jeu infini avec le langage.
Le langage poétique résulte ou jaillit de l’arrangement libre et musical des mots afin de créer harmonie et beauté. Cette démarche esthétique vise aussi à pousser les mots et le langage dans leurs ultimes retranchements, au travers même de figures ou de jeux multiples.
Le poète vise à rechercher le beau et faire de la poésie un art majeur. Le poète est donc un artisan du langage comme ce fut notamment le cas dès le XVI ème siècle avec les poètes de « La Pléiade » ou au XVII ème avec La Fontaine ou les poètes classiques comme Malesherbes qui participèrent notamment à faire du Français une langue artistique et contribuèrent à son enrichissement.
Le travail sur la forme poétique trouve son apogée au XIX ème siècle avec les poètes comme Baudelaire, Verlaine, Rimbaud ou Mallarmé, Mais cela est surtout avec les poètes parnassiens comme Théophile Gauthier ou José Maria de Heredia pour qui la poésie est avant tout dédiée à la forme. c’est en 1835 que Théophile Gautier (1811-1872), dans la préface de son roman Mademoiselle de Maupin, a exposé sa théorie de « l’art pour l’art », et en 1857, qu’il l’a mise en pratique dans son recueil Émaux et Camées rejetant ainsi totalement le lyrisme des romantiques et priviligiait la forme à travers des thématiques plus impersonnelles.
La poésie est bien un art, une quête où chaque auteur exprime sa vision. Il n’est pas rare, d’ailleurs, que certains grands poètes aient tenté de définir leur art et de faire part de leurs recommandations pour rechercher le beau comme Verlaine (1844-1896) dans son poème « Art poétique » où il met en avant la musicalité du langage :
« De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose… »
Comme aussi Théophile Gautier (1811-1872) dans un poème intitulé « L’Art », où il cherche à convaincre et propose une nouvelle forme de poésie ou, enfin, de façon amusée, plus iconoclaste et parodique comme R. Queneau (1903-1976) « Encore l’art po » :
« Ce soir,
Si j'écrivais un poème
pour la postérité ?
fichtre
la belle idée
je me sens sûr de moi
j'y vas
et à la postérité
j'y dis merde et remerde
et reremerde
drôlement feintée
la postérité
qui attendait son poème
ah mais
Extrait de
"L'Art Poétique"
Poésie/Gallimard
L’art poétique n’a point de limite et cette recherche esthétique va se traduire par de nombreuses variantes à partir desquelles les poètes vont faire du langage un jeu propre à libérer l’imagination du poète comme celle du lecteur.Un poète précurseur des surréalistes Guillaume Apollinaire (1880-1918) n’hésite pas quant à lui à visualiser ses mots jusqu’à les représenter graphiquement sous forme de Calligrammes.
Des auteurs surréalistes comme R.Desnos (1900-1945) n’hésitent pas à depasser le réalisme et à plonger dans leur imaginaire comme dans celui du lecteur:
« Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête
Ça n’existe pas ça n’existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards
Ça n’existe pas ça n’existe pas
Une fourmi parlant français
Parlant latin et javanais
Ça n’existe pas ça n’existe pas
Et pourquoi pas ! »
3- La poète et le monde
Même si l’univers du poète est le langage il s’intéresse aussi au monde auquel il se confronte. Ainsi, une autre facette du poète se dessine. Celle d’un poète qui prend parti qui s’engage face aux événements, face à l’histoire. C’est le cas d’Agrippa d’Aubigné qui souhaite toucher la société française en peignant au XV ème siècle dans Les Tragiques, une France ensanglantée par la guerre et les divisions religieuses. La Fontaine n’hésite pas sur le mode de la fable à faire non seulement la critique des moeurs et des travers humains mais également à faire la satire (critique indirecte) des mœurs, des courtisans et de la Cour de Louis XIV dans un contexte où la liberté d'expression est restreinte.
Si la recherche esthétique est toujours priviégiée, le poète devient aussi une sorte de prophète, une conscience engagée dans son temps qui comme l’écrit Paul Eluard «éclaire les hommes et les mène aux combats ». P.Eluard affirme un idéal au nom duquel il faut combattre et encourager les hommes opprimés, notamment, dans son poème Liberté. Pour lui, le poète a aussi pour fonction d’accomplir un acte de liberté malgré les interdits et de garder espoir. Il y proclame le but de l’humanité et du poète : « Je suis né pour te connaître - Pour te nommer – Liberté ».
De son côté, Victor Hugo dans un receuil intitulé Les Chatiments prend violemment parti et de son exil exprime ses ressentiments, sa farouche opposition au régime de Napoléon III. Dans Ultima Verba, il précise par exemple qu'il persistera dans son combat jusqu’au dernier souffle: « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! ». De même il fait dans son receuil les Rayons et les Ombres du poète un "visionnaire" "un prophète" qui a pour fonction d'éclairer la conscience des hommes comme ici dans un poème intitulé "La Fonction du Poète":
"...Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l'homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C'est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
Il voit, quand les peuples végètent !
Ses rêves, toujours pleins d'amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu'importe ! il pense.
Plus d'une âme inscrit en silence
Ce que la foule n'entend pas.
Il plaint ses contempteurs frivoles ;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit tout haut et songe tout bas !
Peuples ! écoutez le poète !
Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots...
......................................
Car la poésie est l'étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs !
Victor Hugo, Les Rayons et les ombres
D’autres auteurs, plus en marge, semblent être incompris par une société bourgeoise dans laquelle ils ne.peuvent se reconnaitre et qui s'avère à l'opposé de leur monde et des valeurs artistiques. Ces poetes dits " maudits" vivent en marge et s'interesse à la condition et à la place du poète dans la société. Cette marginalité offre une poésie décalée et un regard critique sur la société bourgeoise du XIX eme: ex Monsieur Prud' homme le premier poème de Paul Verlaine. Tristant Corbière se sent exclu, et revient dans un autoportrait intitulé Le Crapaud sur son sentiment d’échec et d’exclusion. Il met en avant l’isolement et la solitude des poètes incompris comme l’est le « crapaud ». Tout comme lui, Baudelaire se sent aussi exclu par la société où la condition du poète est semblable à celle de l'Albatros.
La fonction du poète et donc de la poésie, varie selon la créativité de chaque auteur. Elle passe par l’expression des sentiments les plus intimes jusqu’au ludique et au graphisme (calligrammes) ou aux recherches les plus inattendues (surréalistes). La poésie exprime aussi un regard, une vision sur le monde et son devenir, les engagements ou les révoltes des poètes face à la société.