RHINOCEROS (1959) EUGENE IONESCO
Cette pièce se divise en trois actes, chacun montrant un stade de l'évolution de la « rhinocérite ». Cette une sorte de fable, d’apologue dont l’interprétation reste ouverte même si beaucoup y voit la dénonciation du totalitarisme et de l’emprise idéologique sur les esprits.
Les personnages
- La Ménagère
- L'Épicière
- Jean
- Bérenger
- La Serveuse
- L'Épicier
- Le Vieux Monsieur
- Le Logicien :
- Le Patron du café
- Daisy
- Monsieur Papillon
- Dudard
- Botard
- Madame Bœuf
- Un Pompier
- Monsieur Jean
- La femme de Monsieur Jean
- Les Voisins
- Les Pensionnaires
Structure de la pièce
Acte I
Dans l'acte I, les rhinocéros en liberté provoquent tout d'abord l'étonnement et choquent les personnages. Jean ne parvient pas à croire que ce qu'il a vu était réel, il énonce même clairement « cela ne devrait pas exister ». Le patron de l'épicerie jette un cri de fureur (révolutionnaire) en voyant la ménagère partir avec son chat écrasé « Nous ne pouvons pas nous permettre que nos chats soient écrasés par des rhinocéros ou par n'importe quoi ! ». Comme à la montée de chaque mouvement politique extrémiste et totalitaire, les gens sont tout d'abord effrayés.
Acte II
Les habitants commencent à se transformer en rhinocéros et à suivre la "rhinocérite". C'est là que l'on relève les premières oppositions clairement marquées, selon Botard c'est « une histoire à dormir debout ! », « c'est une machination infâme ». Ce dernier ne veut pas croire en la réalité de la "rhinocérite" (comme certains ont pu nier la montée des extrêmes). Mais pourtant lui aussi va se transformer en rhinocéros malgré ses préjugés, montrant ainsi que même les plus résistants peuvent être dupés par les beaux discours de la dictature. Les personnes commencent à se transformer en rhinocéros : c'est le cas de Monsieur Bœuf, rejoint ensuite par sa femme, « je ne peux pas le laisser comme ça » dit-elle pour se justifier. Les pompiers sont débordés, le nombre de rhinocéros augmente dans la ville. Ensuite, Jean, personnage si soucieux de l'ordre au départ et si choqué par la présence de rhinocéros en ville, se transforme lui-même en rhinocéros, sous les yeux désespérés de son ami Bérenger. On assiste ainsi à la métamorphose d'un être humain en rhinocéros. Jean, tout d'abord malade et pâle, voit pousser une bosse sur son front, respire bruyamment et a tendance à grogner. Il verdit ensuite de plus en plus et sa peau commence à durcir, ses veines sont saillantes, sa voix devient rauque, sa bosse devient peu à peu une corne. Jean refuse que son ami appelle un médecin et parcourt sa chambre comme une bête en cage; sa voix devient de plus en plus rauque et il en vient à émettre des barrissements. Il ne voit plus rien d'extraordinaire au fait que M. Bœuf soit devenu rhinocéros : « Après tout, les rhinocéros sont des créatures comme nous, qui ont le droit à la vie au même titre que nous ! », lui qui était pourtant cultivé et féru de littérature.
Acte III
Au dernier acte, tout le monde devient rhinocéros, même Daisy et Dudard. Bérenger est le seul à réagir humainement et à ne pas trouver cela normal. Il s'affole et se révolte contre la "rhinocérite". Dudard minimise la chose puis devient rhinocéros car son devoir est « de suivre ses chefs et ses camarades, pour le meilleur et pour le pire » (camaraderie enseignée dans les jeunesses hitlériennes et communistes). Et Daisy refuse de sauver le monde pour finalement suivre les rhinocéros qu'elle trouve soudainement beaux, dont elle admire l'ardeur et l'énergie. Néanmoins, après beaucoup d'hésitations, Bérenger décide de ne pas capituler : « Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu'au bout ! Je ne capitule pas ! ». La pièce se termine ainsi.
Interprétation
Il s'agit d'une fable dont l'interprétation reste ouverte. Beaucoup y voient la dénonciation des régimes totalitaires (nazisme, stalinisme et autres) et celle du comportement grégaire de la foule qui suit sans résister. Ionesco dénoncerait ainsi plus particulièrement l'attitude des Français aux premières heures de l'Occupation, mais aussi le fait que tous les totalitarismes se confondent pour "attenter" à la condition humaine et transformer en monstre le meilleur des hommes, l'intellectuel (comme « le Logicien ») ou celui qui est épris d'ordre, comme Jean. Bérenger, dont le spectateur découvre la mutation tout au long de la pièce est le seul à résister face à l'épidémie de « rhinocérite ». C'est le seul qui semble avoir des réactions "normales" face à cette épidémie : « Un homme qui devient rhinocéros, c'est indiscutablement anormal ». Il est censé représenter la résistance à l'occupant qui, petit à petit, s'est formée au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ionesco utilise, dans son œuvre, l'absurde et le comique, pour accentuer son propos.
Il s'agit d'une satire des comportements humains et du caractère influençable de l’homme confronté à la montée d’une idéologie : il apparaît d’abord qu’un phénomène minoritaire mais violent entraîne l’incrédulité des habitants qui le rejettent dans un premier temps ; cependant ce rejet est suivi d’une indifférence lorsque le phénomène s’amplifie, les individus commençant à s’accoutumer à ce qui les repoussait (le peuple reste passif devant sa montée en puissance).
Dans un deuxième temps, un basculement important s’opère lorsque le mouvement s’étend et rallie de plus en plus de personnes ; Ionesco souligne bien la capacité pour un tel phénomène à rassembler des gens différents autour d’un thème central (ici « l’état sauvage ») et le fait qu’il profite des frustrations et autres déceptions de chacun.
Enfin, une fois le phénomène largement étendu, l’auteur évoque le caractère uniforme de la situation, la “masse" ayant adhéré en totalité, et il ne reste alors qu’une seule personne, celle dont auparavant on raillait la rêverie et l’inaction, pour résister et même s’opposer lucidement à la folie collective.